L’L’inauguration de la gare de Périgueux le dimanche 26 juillet 1857
L’inauguration de la gare de Périgueux le dimanche 26 juillet 1857 (1)
Mgr le cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, fut le premier à faire un discours parmi les plus hautes instances invitées à l’inauguration de la gare de Périgueux. Il désigna le chemin de fer comme « une noble et utile conquête des temps modernes, comme une grande loi de l’humanité appelée à faire entrer l’universalité dans ce qui n’est que le partage d’un certain nombre. »
Mais pour le plus grand nombre, Mgr Georges, évêque de Périgueux, craignait que le train n’apporte pas que des avantages : « Ce n’est pas sans une vive appréhension pour l’avenir que nous verrons les habitants de nos campagnes et de nos villes, désertant nos temples, échangeant leur séjour, emportés en masse et à toute vapeur vers des lieux où ceux-ci infiltrent aux âmes simples leurs poisons avec leurs exemples et leurs doctrines, où ceux-là s’enivrent, éblouis et souillés à la coupe des plaisirs de nos cités. Ne tremblez-vous pas avec moi, si au lendemain de leurs ivresses, se retrouvant dans leur chaumière et près de leurs sillons, dégoûtés des jouissances pures de l’agriculture et du village, ils allaient s’écrier : Je m’ennuie, désertons nos champs et jetons-nous dans l’industrie ; nous voulons de l’or et des plaisirs. »
Ce qui est sûr, c’est que toute la population en liesse était reconnaissante à Pierre Magne, député local, devenu ministre des finances de Napoléon III d’avoir soutenu la compagnie de chemin de fer du Grand-Central pour la construction de la ligne de chemin de fer devant relier Bordeaux à Lyon, car la Dordogne et le Périgord blanc en particulier n’étaient pas encore totalement remis des ravages causés par la Fronde. « Nous n’avons pas oublié le triste abandon dont se plaignaient depuis si longtemps et avec tant de raisons les départements du centre et du sud de la France… le département de la Dordogne est un des plus grands, des plus peuplés, des plus imposés, et, jusque dans ces derniers temps, un des plus négligés de France… Son heureuse position qui le met au point de rencontre des deux grands courants commerciaux, de Paris aux Pyrénées, de Bordeaux à Lyon, demeuraient stériles : la Dordogne dépérissait au milieu de ses richesses inexploitées. » comme le souligna M. Magne.
De deux heures à quatre heures, les jeux du mât de cocagne et du tourniquet, sur les places Bugeaud et Michel-Montaigne amusaient l’immense majorité de la population qui applaudissait les heureux gagnants et accueillait par des rires impitoyables les infortunés se laissant choir du haut du tourniquet ou ceux qui, ayant entrepris l’ascension du mât de cocagne, n’avaient pas la force d’atteindre le sommet tant convoité.
A cinq heures, les invités du commerce, de la municipalité et des souscripteurs se réunissaient, au nombre de 150, dans la magnifique salle des-pas-perdus du palais de justice transformée en salle de banquet ; les fleurs, le velours, l’or, rien n’avait été négligé pour la rendre digne de sa destination provisoire. Le dîner a été servi par M. Mouyanne, maître d’hôtel à Périgueux. Il n’a rien laissé à désirer. Le service s’est fait dans un ordre admirable, malgré le grand nombre de convives.
En voici le menu :
- Deux potages : Julienne, tapioca
- Douze hors-d’oeuvre : Melon, petits pâtés béchamelle
- Quatre grosses pièces : Turbot, saumon sauce au beurre, jambon glacé à la gelée, galantine à la gelée.
- Entrées : Poulets à la reine, filet de bœuf jardinière, tête de veau en tortue, canards sauce tomate, écrevisses, punch glacé.
-Rôtis : Dindonneaux truffés, chevreuil piqué, faisans, perdreaux en pâté, à la gelée.
- Légumes : Haricots verts, petits-pois, gelée au rhum, gelée au kirch, plumpudding, bavarois.
[…]
Au sortir du banquet à sept heures et demie, les invités ont été conduits sur la place Tourny pour y jouir du spectacle vraiment féérique, œuvre de M. Cruveilher, architecte de la ville. Qu’on se représente une vaste promenade de quatre-cent mètres de longueur, plantée d’arbres séculaires formant une esplanade d’où l’on découvre un horizon lointain et au pied de laquelle serpente la rivière l’Isle où voguaient huit gondoles portant des chœurs chantant des barcaroles à la lueur de feux de Bengale. Qu’on s’imagine cette place illuminée à giorno par dix-mille verres de couleurs et cinq-mille lanternes vénitiennes. Et sur les hauteurs de Pronceau, à deux kilomètres, une splendide illumination et un feu d’artifice.
Oui, c’est sans doute le train qui a joué le plus grand rôle dans la révolution industrielle, provoquant des changements considérables dans les conditions de vie grâce à sa rapidité, sa sécurité, sa fréquence et sa régularité imperturbables. Et, de plus, voyager apportait maintenant du plaisir, rien que par la vision des paysages divers que le train permettait de contempler.
Source : Année 1857 des Annales Agricoles et Littéraires de la Dordogne – Bnf Gallica, pages 117 à 147.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k86229b/f115.item
Le compte-rendu du voyage inaugural de la ligne, depuis Périgueux jusqu’à Coutras du 20 juillet (2)
Il eut lieu dans un premier convoi composé de deux wagons de 1ère classe, cinq wagons de 2e classe, un wagon de 3e classe et un wagon de marchandises. Il démarra à 5h55 sur un coup de sifflet de la locomotive pour parcourir les 76 km de la ligne existante jusqu’à Coutras, « dans la riche et pittoresque vallée de l’Isle » et comptant sept stations intermédiaires.
Depuis la gare de Périgueux, après une ligne droite de deux kilomètres se terminant au Toulon, il y a une courbe de 500m de rayon sur un viaduc, puis « un remarquable pont biais sur la rivière… et tout à coup, ici l’horizon s’agrandit et l’on a devant soi de ravissants paysages, des sites pittoresques variant à l’infini. ». Le chroniqueur évoque divers souvenirs historiques dont l’origine du nom de Salgourde et : « Après avoir dépassé le Saut-du- Chevalier, la locomotive file un kilomètre à la minute et c’est à peine si nous avons le temps d’apercevoir Marsac avec sa fontaine intermittente, le joli château de La Roche, Anthoniac, le château de Siorac et plusieurs autres habitations remarquables par leur élégance et leur situation. » Après la station de Razac ils découvrent les deux châteaux de Montanceix situés sur un rocher escarpé et dominant majestueusement toute la plaine. Le premier, avec ses tourelles et ses menaçants créneaux remonte au XIIe siècle et le second datant d’une trentaine d’années appartiennent à M. de Bousquet (2). « Montanceix est célèbre pour une bataille qui s’est livrée sous ses murs en 1592 et dans laquelle les troupes du roi furent taillés en pièces par les ligueurs. En cet endroit il fallut vaincre des difficultés presque insurmontables : la voie serpente entre la route et la rivière ; elle est soutenue des deux côtés par des murs très élevés et l’on peut se croire sur la rivière ou sur la route selon que l’on regarde à gauche ou à droite. C’est l’un des points les plus pittoresques de la ligne.»
Ayant parcouru 18 km en 23 minutes, ils arrivent à Saint-Astier après avoir franchi un pont à cinq arches et passé sous plusieurs viaducs. « En parlant de Saint-Astier, qu’ils prononcent Saint-Châtier les paysans le désignent ainsi dans leur patois : Saint-Châtier, pito vilo beoü cluchier. C’est en effet une petite ville dont le beau clocher, non achevé domine les maisons de sa masse imposante. Elle tire son nom d’un solitaire qui y vécut et y mourut en odeur de sainteté. L’église offre de l’intérêt archéologique, mais elle exigerait bien des réparations. La ville de Saint-Astier était trop voisine de Périgueux et trop bien située en même temps pour ne pas être bouleversée par les guerres politiques. C’était autrefois un point important entouré de murs qui existaient encore au XVIe siècle. Elle eut à essuyer plusieurs sièges pendant les guerres des Anglais et les guerres de religion. Cette ville porte la trace des vicissitudes qu’elle a subies. Néanmoins, depuis quelques années elle a presque changé d’aspect grâce à la construction d’un pont. » Ils quittent Saint-Astier « non sans avoir admiré les charmants paysages qui s’offrent de tous côtés au regard émerveillé du voyageur. Peu de contrées sont aussi favorisées de la nature. » Ils admirent au passage la maison moderne qui remplace l’ancien manoir de Crognac, le château-fort de Puy-Astier presque délabré et, au sommet d’un verdoyant et riche coteau, l’élégant château de Puyferrat datant du XVe siècle et propriété du député Paul Dupont.
Ils ont ensuite à peine le temps d’apercevoir sur la rive gauche le château de Beauséjour, monument tombant en ruines, de la noble et puissante famille des Talleyrand-Périgord, puis celui de Neuvic, assez vaste pour y loger deux régiments entiers. « C’est une demeure vraiment royale, célèbre par l’illustration des seigneurs de Mellet, célèbre aussi par les visites qu’y faisait Henry IV, alors roi de Navarre.
Ils furent ébahis par la hauteur de 10m du mur de 1km de long qu’il avait fallu ériger le long du « chemin de grande communication n°51 » qui borde la rivière avant d’arriver au confluent avec le Salembre. La station de Neuvic, isolée dans un environnement agréable, avait été placée là en raison de son intérêt stratégique : la jonction des routes allant de Saint-Astier à Mussidan et de Ribérac à Neuvic.
Puis passant dans une tranchée de rochers, ils atteignent le château de Mauriac « sombre monument de féodalité, dont les wagons effleurent les murs. Il reste là muet et impuissant, serré de près par la ligne de fer, humilié par la civilisation moderne, qui se rit, en passant à la course, de son aspect menaçant d’autrefois. Jamais contraste ne fut plus saisissant. »
Arrivés dans la riche et belle plaine de Douzillac, ils ont la chance de voir des moissonneurs célébrer par des danses et par une gaîté folle l’abondance que le ciel leur envoie, après avoir rentré leurs dernières gerbes. Puis, en descendant « la rampe de Saint-Louis dont la pente est de 7 mm par mètre, le train atteint la vitesse effrayante de 75 km à l’heure » et traversent la rivière de Beauronne se retrouvant en face du « château de Beaufort dont les murs noircis et la position élevée commandent une sorte de respect. »
La narration du voyage décrivant Mussidan, la Double et Montpon se poursuit et les lecteurs intéressés pourront la trouver pages 143 à 147 des Annales.
Elle se termine ainsi : « Le pays que nous venons de parcourir est un des plus fertiles du Périgord. On y récolte en abondance du blé, du vin et du fourrage. L’élève du bétail y a fait des progrès considérables depuis quelques années. Les coteaux sont, en général boisés. Il ne manquait à cette contrée que des débouchés pour écouler avantageusement ses produits. Le chemin de fer ne lui laissera plus rien à désirer sous ce rapport. »
Tous les travaux de la ligne ont été conçus par M. Gérardin, ingénieur, et exécutés sous sa direction. Ils font le plus grand honneur à cet habile et savant ingénieur, ainsi qu’aux employés qui l’ont secondé.
Signé Eugène Massoubre, le 20 juillet 1857 dans l’Echo de Vésone
Source : Année 1857 des Annales Agricoles et Littéraires de la Dordogne – Bnf Gallica, pages 117 à 147.
Attention: les photos ne sont pas, bien sûr, de l'époque de l'inauguration. D'ailleurs la gare en dur n'existait pas encore.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k86229b/f115.item




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